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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

d’une morte. Les jeunes gens de la cour trouvèrent la danse de Lauzun misérable et surannée. On blâma la somptuosité folle de son habit, il n’était plus le despote de l’opinion. Quand le roi parut, on fut étonné que le comte se rangeât à peine, on ne le fut pas moins de ces paroles brèves que Louis laissa tomber du haut de ses lèvres dédaigneuses :

— Vous avez là, comte, un habit dont je vous sais gré, il date au moins du commencement de mon règne.

Cela dit, le roi passa.

Un vertige affreux saisit le comte, il se demanda ce qu’il était venu faire chez son ancienne ennemie. Le bandeau était tombé.

La canne de Louis, cette canne formidable, jetée par l’une des fenêtres du château pour ne point frapper un gentilhomme, l’avait moins terrifié que ces mots secs, égoïstes. Le roi sortait de chez mademoiselle de Fontanges.

Il avait vu le chiffre de Turquois le joaillier.

Il se passa alors dans l’âme du comte un combat dont rien ne saurait donner l’idée ; il pâlit, trembla, puis rugit comme un lion. Du brevet de duc, il n’en était plus parlé, le roi l’avait déjà refusé à Mademoiselle. Quel parti restait à Lauzun ? Aller à l’armée et se faire tuer, ou bien gagner l’Angleterre. Jacques II était en correspondance réglée avec lui, il était question de faire passer en France plusieurs membres de sa famille. En tournant ses regards vers la ville brumeuse de Londres, le comte tressaillit, il eut peur. Abandonner Paris avant que Paris l’eût reconnu, tenter de nouveau les chances de l’exil, quand il venait à peine de toucher ce sol témoin assidu de ses triomphes, c’était pour Lauzun le comble du désespoir. Comme un nautonier qui voit fuir la rive, il jeta un coup d’œil rêveur et chagrin à ce monde doré qui l’entourait, monde ingrat dont lui-même avait fait si longtemps la splendeur et les délices.

Une rage jalouse mordit son cœur en voyant le prince de Marsillac comblé des faveurs du roi, Marsillac l’humble valet de ses plaisirs. Les rapports du comte avec le mo-