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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

la fois, un homme que j’ai pu aimer autrefois, monsieur, il s’appelait le comte de Lauzun !

En disant ces mots, madame d’Alluye passa outre.

Lauzun, foudroyé, quitta brusquement le bras de sa conductrice.

— Est-ce un pari, madame ? dit-il en riant d’un rire contraint, en ce cas vous avez gagné.

— Pas encore, cher comte, reprit-elle en conduisant Lauzun à une personne qu’il ne pouvait voir que de dos, occupée qu’elle était à écouter madame de Sévigné, qui s’était bien vite formé un cercle d’auditeurs. Quand elle se retourna, Lauzun reconnut Mademoiselle.

Louise d’Orléans avait l’air de se souvenir ce soir-là que ses amours avec le comte avaient commencé un vendredi[1]. L’ancienne frondeuse de la Bastille plissa le sourcil en voyant Lauzun au bras de la Montespan.

Elle l’attendit de pied ferme.

— Son Altesse m’excusera-t-elle de lui ramener un repenti

? demanda la marquise avec enjouement. M. de Lauzun sollicite d’elle l’honneur de danser une sarabande.

À la vue de sa femme, Lauzun essaya de se raffermir sur les arçons, mais la jalouse princesse l’entraîna bientôt dans l’embrasure d’une fenêtre, et elle lui reprocha tous ses méfaits. Retirée dans sa terre de Saint-Fargeau, elle lui avait vainement écrit, le comte avait trouvé bon de ne pas répondre à ses lettres. L’archet seul put mettre fin à une conversation qui, pour Lauzun, était un supplice. Il tendit la main à Mademoiselle au milieu des chuchotements et des rires étouffés, c’était, depuis son exil, la première fois qu’il dansait avec sa femme.

— Ce pauvre Lauzun, dit Roquelaure, voyez donc comme il est gai ! Il ressemble à un homme qui conduit un catafalque.

Louise d’Orléans était, en effet, si pâle que l’on eût dit

  1. Historique.