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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

plus furieuse. Le trait sanglant de Lauzun qui l’avait, selon elle, oubliée dans cette armoire, méritait à coup sûr une vengeance. La marquise de Montespan s’unit à elle ; la conspiration fut arrêtée, il ne s’agissait plus que de suspendre le grelot. Pendant ces pourparlers, Lauzun s’avançait ; il était splendide, il rayonnait… La promenade de là veille avec la Montespan, dans son carrosse, avait répandu sur lui une teinte d’orgueil, son regard était clair, assuré, celui d’un homme qui veut bien rentrer à la cour.

— Je trouve ici bon nombre d’ennemis, pensait-il, mais je connais mon prestige. Dans une heure, si le roi me parle, et il me parlera, ils voudront se rapprocher. Vanité des vanités ! Il y a des instants où ce que m’a dit ce lugubre avertisseur, nommé Saint-Preuil, me trotte par l’esprit. À quoi tient l’éclat, l’opinion, la puissance ? À un rayon du soleil royal qui passe sur vos broderies. Le roi ! Tout est dit quand on a prononcé ce mot. Moi-même, hier ; je tremblai quand je sus qu’il devait venir comme un sultan blasé au bal de son ancienne favorite. La Montespan et moi nous pouvons nous donner la main : nous ne sommes plus, nous avons été.

Qu’est-ce que ces idées ? reprit-il bientôt en se rapprochant d’un groupe animé dont les voix se croisaient près de la marquise. Lauzun, mon ami, oublies-tu qu’hier Sa Majesté parlait de te faire duc ? Allons, un souffle fort passe encore dans tes cheveux ; les femmes te regardent, les hommes t’admirent, un peu d’impertinence, et tu reprends ton empire.

En parlant ainsi, le comte s’était avancé vers madame de Montespan. Il la trouva belle, empressée comme la veille, passant des éloges enthousiastes aux remerciements ardents, rouvrant pour lui seul des lèvres vermeilles, épuisant enfin tout ce qu’elle avait de charmes, comme si elle eût voulu le montrer à tous lié de si près à son char qu’on n’en pût douter. Sous ce masque que la marquise s’était fait en un instant, Lauzun ne soupçonna pas le ressentiment profond,