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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

comme l’aurore ; elle avait beau tenir son voile abaissé, le vent me servait presque aussi bien que Bontemps sert le roi. Elle marchait si vite que j’avais peine à l’atteindre. Au tournant du pont Marie, il survint par bonheur un embarras de charrettes. Je me glisse avec mon agilité ordinaire, la belle s’était arrêtée. Je pus voir alors une charmante créature, aussi belle, plus belle qu’aucune de la cour, qui regardait avec un soupir les fenêtres de Lauzun. Ma première pensée, je l’avoue, fut de me jeter à sa tête et de lui décocher les compliments usités en pareil cas ; mais une petite moue dédaigneuse me prouva qu’elle me trouvait sans doute moins beau que l’ancien favori de Sa Majesté. Je ne sais pas même si, dans sa précipitation à gagner le quai d’Anjou, elle ne me donna pas un léger coup de coude ; ce qui est sûr, c’est que je la vis frapper à la porte de l’hôtel avec une rapidité qui me surprit.

Étourdi de son coup de coude ou de sa grâce, je demeurai là, à la porte, une grande heure, me demandant si elle n’allait point sortir, et si Lauzun, d’aventure, la faisait peindre. La pluie survint pendant ma faction, et quand je demandai au suisse du comte si la belle comptait demeurer longtemps, il me répondit en m’indiquant du doigt Riom et Lauzun qui allaient monter en chaise de poste dans la cour. Donc, la belle enfant avait accepté l’hospitalité du comte, elle avait fait élection de domicile à l’hôtel de l’Île. Si ce n’est pas là une bonne fortune que Lauzun m’a volée, je ne veux pas avoir fait le siège de Gravelines.

— Mais son nom, son nom ? demandèrent en chœur les assistants.

— Attendez donc… son nom… je l’ai écrit là, sur mon carnet. Oh ! je suis un homme d’ordre.

C’est, reprit le duc, en ouvrant son calepin, un nom plébéien s’il en fut, la fille ou la nièce d’un financier de la place Royale, à ce que j’ai pu en découvrir ; oui, parbleu, voilà le nom : Mademoiselle Leclerc !