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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Pour le coup, voilà qui est magique, reprit Cavoie en sortant, la raquette en main, du jeu de paume. Qui eût pu croire qu’ils se seraient jamais réconciliés ? Le serpent et la couleuvre !…

— Vous ne connaissez pas M. de Lauzun, tous tant que vous êtes. Il sait profiter à merveille des caprices du maître, et celui du roi pour mademoiselle de Fontanges lui aura sans doute ramené la Montespan. N’y a-t-il pas bal demain chez elle, et le comte ne lui manquerait-il pas ? Elle vient de faire ses emplettes avec lui, il aura taillé en plein drap.

— Tout de même, dit Monaco, voilà qui est bien osé ! Sortir avec lui dans son plus magnifique carrosse !

— Elle enrage que nous l’ayons vue, cette chère marquise, elle qui enrage assez déjà de mademoiselle de Fontanges et de sa grossesse. Que pouvait-elle dire à Lauzun ? Le temps de leurs amours est bien passé.

— M. de Lauzun, reprit Roquelaure, racontait peut-être à la marquise l’une de ses dernières expéditions. Il n’est pas toujours malheureux, croyez-le bien. Hier encore, ma foi, oui, pas plus tard qu’hier, j’ai vu, de mes deux yeux vu… Mais, est-ce que monsieur prendrait intérêt à cette histoire ? poursuivit le duc en apercevant un jeune homme qui se rapprochait du groupe où il pérorait.

Ce nouveau venu était si pâle, que le duc se sentit saisi malgré lui d’un certain trouble en le regardant. Toutefois, comme le cercle d’auditeurs qui lui était habituel paraissait avide de le voir continuer, il reprit :

— C’était hier, oui, sur les deux heures.

La physionomie du jeune homme exprimait une horrible anxiété. Sa main impatiente tordait le bout de sa cravate, sa poitrine était oppressée.

Le duc continua :

— Hier donc, deux heures, et comme je me rendais à l’Arsenal pour y voir le gouverneur, je vis une ombre rapide glisser à côté de moi. C’était une jeune fille, belle