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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

la mission d’un prêtre. Sa fureur s’éteignit devant ce cilice, ce pain noir et cette croix. Mais aussi, peu à peu sa terreur reprit le dessus, quand il considéra ce front sillonné de veines sanglantes, ces yeux qui avaient échauffé le meurtre, le pillage et l’incendie. Lauzun se souvint qu’il avait appelé Saint-Preuil d’un nom offensant, il se demanda si toute haine était morte au fond de ce cœur. Peut-être cette fosse creusée à demi allait-elle s’ouvrir pour cacher à jamais une ténébreuse vengeance. Le lieu était muet, la tombe inconnue, le meurtre sûr. Le comte ne se rappela pas sans frémir tout ce que Saint-Preuil avait été, la moindre résistance pouvait éveiller en lui des pensées farouches. Il s’avança pourtant et lui fit signe qu’il voulait sortir, tant ce lieu sinistre l’épouvantait.

— Comte de Lauzun, dit Saint-Preuil, vous êtes libre. Rappelez-vous seulement notre entretien, désormais je ne vous suis plus à charge. Cependant je dois vous dire que nos deux existences sont liées par un dessein de Dieu l’une à l’autre. Fils d’un calviniste, je n’embrasserai la nouvelle religion de votre mère que le jour où vous serez vous-même touché de vos fautes. Ma rénovation chrétienne, mon salut, sont à ce prix. Prenez garde que le ciel ne vous envoie le châtiment pour messager, tâchez que mon exemple vous suffise. Adieu, comte de Lauzun !

Ces paroles dites, Saint-Preuil ouvrit la porte à son prisonnier, qu’il accompagna pâle et tremblant jusqu’à son boudoir.

— Dormez en paix, comte, ajouta-t-il, cette nuit, je sors d’ici. Aucune ombre inquiète ne troublera plus vos rêves ; à moi la haine, à vous le monde, vivez ! Rien de ce que vous pourrez faire ne contrariera seulement l’avenir de Dieu. Votre règne incline déjà.

Il laissa le comte et disparut dans les ténèbres.