Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome2.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

struisant ses propres vassaux à laver leurs bras dans le sang, dépouillant les autels tièdes encore du pas des prêtres et portant à ses lèvres un calice de sainteté ! Vous rappelez-vous cet homme dont l’évasion du château d’Amboise frappa de terreur toute la contrée, ce pâle criminel dont le nom seul répandait l’effroi ?

— Saint-Preuil ! s’écria Lauzun.

— Oui, Saint-Preuil, que vous retrouvez ici courbé sous le poids de l’expiation et du remords, haïssant la vie d’une haine passionnée, macérant son corps la nuit et le jour, apportant enfin lui-même ses bras pantelants à cette croix ! Oui, comte de Lauzun, c’est un misérable, un réprouvé qui vous parle. Il vous crie de vous repentir, il en est temps ! Ah ! n’allez pas croire que sa lutte constante avec vous ne constituât qu’un jeu frivole, ne cherchez pas ici dans vos souvenirs à quelle rivalité futile vous pourriez attribuer mon inquisition de chaque jour, de chaque heure ! C’est à votre mère, à votre mère seule…

— Ma mère, ma mère, dites-vous ?

— Mais pourquoi vous parler ici de votre mère ! Est-elle jamais descendue ici ? m’a-t-elle dit : Saint-Preuil, vous veillerez sur cet homme qui est mon fils ? Non, elle ne me l’a point dit ; mais moi je l’ai deviné. J’ai deviné cette douleur aiguë, profonde, véritable, que lui causaient vos désordres. Je me suis dit : Elle m’a sauvé à Amboise, moi je sauverai son fils, dussé-je m’attirer son ressentiment, sa haine ! Calviniste comme elle, je lui ai juré de me convertir ; mais n’ai-je donc pas une jeunesse de sang et de crimes à expier ? Ai-je le droit seulement d’approcher des mêmes autels ? Non, je fus un monstre, un misérable égorgeur que Saint-Ruth eût pendu aux saules du chemin ; j’ai prêché la rébellion contre mon prince, j’ai soufflé la discorde dans le Dauphiné et le Vivarais. Grâce à madame dé Lauzun, votre mère, j’ai pu échapper au courroux du roi, mais je serais un lâche d’échapper à mes remords, il faut que je me punisse ! Ainsi ai-je fait en enfonçant ce