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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

baron des Adrets. L’ensemble de l’inconnu annonçait une de ces natures vigoureuses qui ne reculent devant rien ; il eût pu être tour à tour, en Italie, condottiere ; en Espagne, brigand dans les Sierras ; en France, chef de parti. Une épée, la sienne, sans doute, reposait à côté d’un uniforme usé et sali. Il présenta sa chaise à Lauzun et lui dit de s’asseoir, le comte resta debout. Lauzun était courageux, il l’avait prouvé plus d’une fois ; il lui sembla au-dessous de lui de sortir de ce lieu sans avoir le cœur net de cette énigme. Résolu à provoquer lui-même un aussi important débat, il allait prendre la parole, mais son hôte commença en jetant sur lui un regard clair et perçant.

— M’excuserez-vous, monsieur de Lauzun, de vous recevoir chez moi ? Je ne pense pas que ce misérable lieu puisse jamais servir à Votre Excellence ; il lui était inconnu, sans doute ; elle n’y retrouve ni l’or, ni la soie de son hôtel ; mais à défaut de cette coûteuse parure, le comte de Lauzun rencontrera dans cette tombe un homme qui lui parlera franchement comme à son frère.

— Parlez donc, monsieur, dit Lauzun, je vous écoute.

— Vous êtes encore jeune, monsieur le comte, mais l’adversité, cette dure conseillère, n’a rien pu sur vous. Loin de là, elle a fait germer dans votre cœur des désirs insatiables. L’honneur, la réputation d’une femme, son repos même, tout cela n’est rien pour vous ; il vous tarde de vous venger de votre passé, vous voulez dompter l’avenir ! — À moi, vous êtes-vous écrié, tout ce qui peut me consoler d’un hymen pesant ! à moi tout ce qui brille et palpite dans cette cour émue encore au seul bruit de mon nom, de mes triomphes ! Louis fut jaloux, injuste envers moi, il s’attend à me voir jouer le rôle d’un repenti ; prouvons-lui que je suis son maître ! Accourez ici, vous toutes qui vous souvenez de Lauzun, vous encore qui ne le connaissez pas ; son palais splendide vous est ouvert : l’or, comme un fleuve brûlant, inonde ses tables de jeu. Que me parlez-vous de ce qui s’est passé durant mon absence, et que m’importe à