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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sous l’hôtel même à la Seine. Tout d’un coup l’inconnu prit une clef et la fit entrer dans une serrure. Le comte se trouva alors dans une vaste pièce éclairée uniquement par un bec fumeux de lampe, et dont son regard s’accoutuma à discerner peu à peu les objets.

Au milieu, se trouvait une table recouverte d’une foule de livres, d’in-folio, de papiers ; sur plusieurs des livres, il y avait des armes gravées, et le comte ne fut pas peu surpris en reconnaissant celles de sa famille. Ces divers volumes étaient presque tous ouverts, remplis de notes et de marques ; c’étaient des ouvrages ascétiques, des disputes, des conférences de théologie. Une cruche remplie d’eau et un morceau de pain noir étaient placés au-dessous de la table, à côté d’un cilice en pointes de fer. Dans le fond de cette cellule souterraine, Lauzun vit aussi une large croix de bois, cette croix avait du sang. En portant les yeux à la voûte, il fut effrayé de certaines sentences bizarres, toutes tirées de l’Écriture ; elles étaient peintes en noir. Une bêche et une fosse à demi creusée frappèrent aussi ses regards ; il remarqua encore un fouet dont les mille cordes étaient émoussées… Le mépris de la vie humaine éclatait dans chaque détail de la cellule ; une chaise de paille, une couche de crin formaient tout l’ameublement avec la table. Cette tombe sous un palais, cet homme au front chauve qui avait ainsi installé le cloître et les austérités chez lui, frappèrent l’esprit de Lauzun. Il ne songea pas sans une véritable frayeur à cet hôte silencieux séparé de ses plaisirs par le seul soubassement d’une voûte. Qui était-il donc, cet homme singulier, pour avoir rompu ainsi tout d’un coup avec le monde, pour se condamner à cette nuit dont lui seul avait le secret ? Lauzun appela à son secours ce même regard que don Juan retrouva devant le convive de pierre, mais il rencontra des yeux ardents, intrépides. Ce corps sec et voûté par les fatigues, les misères, la privation, s’était redressé ; le comte se vit tout à coup devant une de ces figures de capitaine, tels que durent être Montluc ou le