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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— La mine d’une âme en peine. Il suait sang et eau, et promettait jusqu’à sa perruque au postillon pour dépêcher.

— Plus de doute, c’est Brancas ! Le pauvre cher homme, il aura cru que ces dames l’attendraient. Je ne vous donne pas dix minutes, l’ami, ajouta Riom au postillon, pour que vous ne rencontriez sa chaise.

Le temps s’était éclairci, Lauzun et Riom repartirent à tours de roues. Ils voyaient fuir les arbres, les villages, le ciel, avec une merveilleuse rapidité. L’unique plat qu’on leur avait servi à l’hôtel était loin de valoir un seul écu, il fallut s’en contenter.

— Du diable ! si je vois un seul carrosse sur cette damnée route ! dit Riom après un quart d’heure. Ne trouvez-vous pas, mon oncle, que ce serait le cas de causer un peu de nos affaires ? Notre postillon a le mot, il saura bien distinguer la couleur de l’équipage.

— De quelles affaires veux-tu causer ? demanda Lauzun d’un air distrait.

— Des miennes et des vôtres, mordieu ! N’êtes-vous point mon oncle, et ne devez-vous point tenir à ce que mon train soit raisonnable ?

— Sans doute.

— Eh bien, mon oncle, je n’ai plus un sou vaillant.

— Tant pis, dit Lauzun en regardant par la portière. Vous voilà, monsieur, comme mon autre neveu Armand de Gontaut-Biron !

— Par exemple, mon oncle, Biran est un joueur, un débauché.

— Et vous donc ! ne croyez-vous pas que j’ignore vos escapades ? Henri de Castelmoron, le fils de ma plus jeune sœur, doit vous faire rougir, vous et Biron.

— Mon oncle, dit Riom, il me semble voir un carrosse bleu.

— Que dis-tu ? répliqua Lauzun impatiemment et faisant trêve à sa morale, que Riom trouvait à coup sûr intempes-