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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Une revanche que le sort lui préparait. Il lui renouvela ses offres de service, il s’apitoya avec un rare talent de comédien sur ses malheurs. La défense de Fouquet par son ami Pelisson ne fut rien près de la sienne ; il remercia l’aimable fille de sa confiance, et, tout en la complimentant sur sa grâce, il tailla une plume, et fit mine de jeter quelques idées sur le papier. C’était un placet qui ne pouvait manquer, disait-il, de toucher le roi.

— Monsieur de Lauzun, reprit-elle avec assurance, ce n’est pas de cette lettre à Sa Majesté qu’il doit s’agir d’abord entre nous.

— Je ne vous comprends pas, répondit le comte.

— Vous allez me comprendre. Avant de défendre mon père aux yeux de Sa Majesté, il faut, monsieur le comte, que vous le défendiez devant moi.

— Que voulez-vous dire ?

— Que si la mémoire de M. Fouquet vous est chère, vous devez la mettre à l’abri de tout opprobre. Il en est un qu’il n’a jamais mérité, celui de vil séducteur, et cependant, monsieur, c’est de celui-là qu’on l’accuse. Une femme, la femme d’un riche partisan de ce royaume, de Leclerc, l’ami d’Hervart, amenée chez le surintendant sous le prétexte d’une audience importante ne serait sortie de son hôtel que la honte et le déshonneur dans l’âme. Abusant de sa candeur, de sa confiance, il l’aurait traitée comme une vile courtisane. La honte et le désespoir devenus, à dater de ce jour, le partage de sa victime, l’auraient conduite au tombeau ; elle serait morte sans avoir obtenu vengeance.

— Voilà une sombre histoire, répliqua le comte en affectant l’air distrait quand ceci s’est-il passé ?

— Il y a vingt ans, mais la blessure de l’homme si indignement outragé est encore saignante. Il accuse mon père de cette infamie, il l’en accuse devant moi !

— Et vous ne croyez pas à cette aventure ?

— Je la crois exacte, monsieur de Lauzun, répondit ma-