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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

forgeait ses saillies, où Charost le décriait, où Monaco voulait le faire pendre. Il grinçait des dents à la seule idée de ne plus se voir goûté, envié, applaudi, lui qui parlait toujours aisément et à propos, que l’on évitait de heurter, à qui tout le monde cédait. Ménagé, obéi, admiré, aimé toujours, il se croyait devenu avec effroi le point de mire des plaisanteries et des sarcasmes. Que devait-on dire de lui à Versailles, si quelque bouffon de profession s’emparait de sa mystification récente ? L’épée de Riom ne pouvait pas toujours le défendre, et d’ailleurs n’est-il pas des occasions où le silence est encore le meilleur parti ? Le comte était en proie ces désolantes réflexions, quand la voix de Barailles lui annonça précisément son neveu.

En faveur de Riom, que Barailles savait dévoué à son oncle autant qu’un neveu peut l’être, le digne Alsacien avait fait une exception ; toutefois, Riom fit en ce moment sur Lauzun l’effet de la tête de Méduse.

— Mille pardons, mon cher oncle, de ne vous avoir vu depuis deux fois vingt-quatre heures, dit Riom avec embarras. Vous ne pouvez vous imaginer le nombre de lances que je me suis vu forcé de rompre pour vous. À Paris comme à Versailles, on sait la chose, c’est la nouvelle du jour. — M. de Lauzun, mon cher Riom, a des armoires merveilleuses, m’a dit Charost. — Il a un esprit familier, ajouta madame de Brantas. — Il lui fait parfois faux bond, disait madame de Lude. Pour mesdames de Monaco et de Roquelaure, elles ne soufflaient mot. Ce qu’il y a de pis, C’est que ce farouche d’Alluye a conté l’histoire à sa femme, et que jolie marquise s’en est trouvée mal. Bref, on ne s’aborde plus qu’en parlant de l’aventure. Pour moi, je suis furieux ; j’ai beau leur répéter les noms de vos victimes, que je sais toutes sur le bout du doigt, ils m’envoient promener en disant : — C’était avant Pignerol ! Si bien que je dois, au premier jour, aller avec Guitry au café de la Belle épée, où ils s’assemblent, afin de m’escrimer avec deux ou trois.