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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

la chapelle, où elle pria longtemps. Au coup de minuit, elle se tenait droite et immobile sur son lit, pensant à Henri Leclerc et aux dangers réels où pouvait le jeter son entreprise. La nuit même, elle eut un rêve, un rêve où, par une fatalité dont il ne serait pas impossible de trouver des exemples, elle vit ce qui s’était passé à la place Royale dans l’hôtel désert du financier.

Henri n’avait pas eu de peine à escalader le mur du jardin, car la nuit était profonde. Armé d’une lanterne sourde, et couvert de son manteau, il s’était ensuite acheminé vers le cabinet.

Le cœur du jeune homme battait avec violence ; il crut entendre un cri quand il introduisit la lame de son poignard de marine dans la serrure… après avoir rompu les scellés mis sur la porte.

Ce cri n’était autre chose que le sifflement du vent dans le corridor conduisant à cette pièce. Henri pénétra à tâtons dans le cabinet.

La table où se trouvaient les papiers de Leclerc était en désordre ; des meubles, des tableaux encombraient la chambre, Henri posa sa lanterne sur un carton du bureau, de manière que le rayon frappât d’aplomb sur l’objet qu’il allait voir.

Prenant alors son courage à deux mains, il tira, la portière en tapisserie qui couvrait l’armoire vitrée…

L’aspect de la morte produisit sur lui une impression indéfinissable ; quelque temps il demeura devant elle, livide et muet : une sueur froide mouillait ses mains et ses tempes.

Il considéra à loisir ce morne visage, ces yeux immobiles, ces joues dont le fard était tombé.

À la main gauche du cadavre, il vit l’anneau, et il détourna la tête.

Tout d’un coup il s’opéra dans son être un sorte d’hallucination ; il eut le vertige ; il se débattit comme un homme en proie au sommeil contre un horrible cauchemar.