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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Je venais vous faire mes adieux, mademoiselle ; un ordre de l’amirauté m’enjoint de regagner Brest sous peu de jours. Vous avez besoin de moi, dites-vous ; vous m’avez mandé, de quoi s’agit-il ?

— Mais de vous d’abord, malheureux enfant, de vous et de votre père… reprit-elle avec vivacité. Je donnerais tout pour qu’il vous rouvrît ses bras ; j’espérais que sa haine injuste s’arrêterait au seuil de son cachot ; ah ! je le devine, elle vous en ferme l’accès Henri, cher Henri, auriez-vous vu votre père ; et, si vous ne l’avez pas vu, où êtes-vous allé dans votre chagrin et votre angoisse ? Ah ! je crains pour vous les conseils du désespoir ; j’ai eu tant de mal à leur résister moi, qui vous parle, qui vous plains !

— Mon père m’a maudit, mademoiselle, répondit Henri ; il ne me reste plus qu’à me faire tuer, et c’est ce que je compte faire au premier jour. Mon retour en cette ville a été marqué par une affreuse catastrophe. Mon nom est perdu, avili autant vaudrait que je fusse un déserteur !

— Vous, Henri, vous, si digne du bonheur et de l’estime, vous vous proclamez ici l’égal d’un lâche, vous recherchez le mépris ! Rassurez-vous, la captivité de votre père aura son terme ; vous reprendrez bientôt votre place, glorieux et fier, sur l’escadre de Duquesne. Pourquoi renoncer à l’avenir ? pourquoi réclamer pour vous une mort, hélas trop prompte ? Êtes-vous donc déjà inutile à ceux qui vous aiment et que vous aimez ? Rétractez ces cruelles paroles, Henri, tout vous le conseille, et moi je vous en supplie. Je vous ai fait venir pour me rassurer moi-même, pour faire passer en moi une partie de votre courage. Je suis à la veille de commettre une action qui décidera peut-être de toute ma vie.

— Ah ! confiez-vous à moi, mademoiselle, employez mon bras, ma pensée à vous servir. À défaut de votre amour, c’est le seul bonheur que j’ambitionne.

— Dites-vous la vérité ? consentirez-vous à m’obéir ?

— Comme à Dieu, comme à ma mère. Ma mère, ajouta