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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

zun ferma ses larges battants, mademoiselle Fouquet, triste et rêveuse, laissa tomber sur la rue de Grenelle un regard distrait et fatigué. Le silence était profond ; çà et là, par intervalles, les pas furtifs d’un promeneur attardé qui regagnait son logis, le bruit d’un carrosse, la chanson d’un gentilhomme ou le manteau sombre d’un exempt. Paris entier sommeillait sous l’œil de Dieu et de M. la Reynie. Tout d’un coup, la jeune fille aperçut un homme à cheval qui passait sous sa fenêtre, la plume de son feutre au vent. Il se leva sur ses étriers, et la regarda quelques secondes.

C’était le comte de Lauzun.

Au cri involontaire qu’elle poussa, le cavalier tourna bride après avoir jeté prestement un bouquet par la croisée. Mademoiselle Fouquet le ramassa ; il contenait une lettre. Cette lettre… elle l’approcha vivement d’une bougie… Elle lut alors les paroles suivantes, paroles qui firent passer tour à tout dans ses veines des frissons de crainte et d’espérance.

« Je sais votre nom, mademoiselle, vous avez eu tort de me le cacher à moi qui aimais et vénérais votre père. Sa mémoire revit en vous, en vous belle et noble que j’eusse dû pressentir et deviner. Ne me jugez pas sur ce que l’on dit de moi, n’écoutez que votre cœur, il vous guidera vers le seul ami qui ait gardé le culte de celui que vous pleurez. Mon crédit et mon alliance me permettent à l’avance de vous assurer le succès de vos démarches, de quelque nature qu’elles soient. La plus généreuse, la plus juste eût été peut-être celle de la réhabilitation de M. Fouquet, madame de Montespan semblait y croire l’autre jour, et le père Lachaise, le confesseur de Sa Majesté, a reçu sur cet objet de récentes confidences. Le roi comprend enfin qu’on a surpris sa religion, que Colbert seul, avec le Tellier, a tout fait. Un homme assez hardi, je devrais dire assez probe, pour soumettre à Sa Majesté un plan complet de révision et pour épargner une tache à l’histoire d’un grand roi, aurait peut-être quelque droit à votre affection ; je serai cet homme,