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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

elle m’a bien fait trembler, moi qui me suis jetée sans pâlir aux pieds du roi pour lui demander la grâce, la vie de mon père.

« Je ne me marierai jamais ! Ce sont là mes paroles à ce jeune homme. Sont-elles bien sincères, et ce serment que je me suis fait me trouvera-t-il parjure ? À peine ai-je vu ce monde, moi que la prison a liée de si bonne heure mais enfin je suis libre, je dispose de ma main. Pourquoi donc alors n’avoir pas accepté l’offre de Henri ? pourquoi l’avoir repoussé, comblé de douleur peut-être ? C’est qu’une autre image me poursuit, m’obsède, j’en ai peur. La vie du cloître est mon seul abri. Quelle serait mon existence dans le monde ? Entendre à tout propos rappeler devant moi l’horrible procès de mon père ! trembler et pâlir devant ces mêmes hommes qui ont travaillé si longtemps à sa ruine ! Ah ! ce sacrifice de chaque jour est au-dessus de mes forces. Ma famille m’offrait un asile, mais a-t-elle donc pris en pitié les longs malheurs de mon père ? Saint-Évremont ne m’a-t-il pas seul consolée ? C’est aujourd’hui que j’aurais besoin de ses lumières, de son amitié, de sa prudence. Je ne sais pourquoi, je n’ose plus me confier à madame de Lauzun. Mon Dieu ! la voici. Elle ne s’est donc point couchée ? Non, je me trompais ; elle ouvre seulement la fenêtre pour respirer le frais de la nuit. Le sommeil, m’a-t-elle dit, ne vient plus la visiter, ou, si elle dort, c’est pour rêver de son fils. Si j’allais aussi le voir apparaître dans l’ombre d’un rêve, avec ce même habit qu’il portait l’autre jour chez Mademoiselle quand il m’a parlé dans le jardin ! Anges du Seigneur, veillez sur moi ! Que ma prière monte à vous ! Vous savez dans quel but je suis venue en cette sombre capitale. La réhabilitation de la mémoire de mon père est mon plus ardent espoir, mais pourrai-je à moi seule lutter contre les obstacles ? Mon Dieu ! je m’endors pleine de calme et de confiance en vous.

Le sommeil de l’aimable fille fut exempt de trouble, l’image de Lauzun en fut bannie, mademoiselle Fouquet s’é-