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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

à M. d’Ormesson[1] ne devaient prouver que bien plus tard qu’il avait reconnu lui-même une injustice.

Mais de tous ces griefs amoncelés contre Fouquet, de tous ces reproches que sa mort n’avait pas même effacés, un seul déchirait le cœur de la pauvre enfant, c’était ce mot cruel, implacable du vieux Leclerc : Fouquet m’a déshonoré !

À la vue de Henri, mademoiselle Fouquet s’était rappelé cette parole dure, lugubre, prononcée devant le corps même d’une victime, la morte que Leclerc conservait avec une rage obstinée sous ses propres yeux, comme si le spectacle de ce cadavre eût dû servir au besoin à raviver sa vengeance.

La fille du surintendant n’avait deviné que trop à quel homme Leclerc devait sa honte, mais ce qu’il y avait chez elle d’horrible et de douloureux, c’est qu’en accusant Lauzun, elle trouvait encore dans sa faiblesse le moyen de l’excuser.

— Non, je ne puis croire, se disait-elle, que le comte soit un infâme ! un autre que lui portait peut-être cet anneau ; peut-être est-ce une fable inventée par cette femme !… N’importe ! cette lâcheté dont Leclerc accuse mon père doit tomber devant les paroles de M. de Lauzun. Lauzun ! ce nom fatal à mon repos a frappé de bonne heure mes oreilles à Pignerol. J’étais bien jeune quand mon père me fit voir un jour cet homme. Tout se taisait autour de nous dans la prison, la lune s’était levée doucement derrière les montagnes d’Embrun, c’était une belle nuit. Mon père et moi nous prêtâmes l’oreille à la voix d’un captif dont le cachot se trouvait contigu au nôtre ; il lisait et il récitait des vers.

  1. Louis XIV, dans sa vieillesse, se repentit tellement de ce qu’il avait fait, que lorsque le petit-fils d’Olivier Lefebvre d’Ormesson lui fut présenté, il lui adressa ces paroles : Je vous exhorte d’être aussi honnête homme que le rapporteur de M. Fouquet. M. d’Ormessou n’avait opiné que pour le bannissement. « Il a couronné par là sa réputation, » dit madame de Sévigné.