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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

moiselle, d’avoir renouvelé en vous le souvenir d’une douleur impérissable. Oh ! oui, votre noble exemple ne sera point inutile à mon courage. Vous me tendez une main qu’on ne doit toucher qu’avec respect, vous me rappelez un nom qu’à force d’injustice et de malheur on n’a pu déshonorer. En sera-t-il ainsi de celui de mon père ? Dieu seul le sait, mais puisque les hommes l’accusent et que le malheur fond sur lui, permettez, mademoiselle, que je puise ma vie et ma force dans votre regard, ne me bannissez point de ce cœur dans lequel le chagrin a tenu longtemps sa place. Isolé comme vous, attaqué, blessé dans ce que j’ai de plus cher, j’apporte à vos pieds ce qui me reste d’espoir, d’affection, de courage ! La vie que le sort nous a faite est un combat, affrontons ensemble ses périls, liguons-nous contre le blâme. Deux mémoires chéries palpitent dans nos cœurs, unissons-nous dans ce culte auguste et saint. Un jour viendra peut-être où nous lèverons le front, et ce jour sera celui de la justice.

— Oui, mais nos parts ne sont pas égales, Henri ; votre père existe, il sortira, je l’espère, de cette lutte ; le mien n’y a-t-il pas succombé ? Le surintendant n’a-t-il pas vu ses propres amis échouer dans sa défense ? Oui continua-t-elle, dans l’entraînement du désespoir, on l’a abreuvé de fiel pendant dix-neuf ans, il me laisse un nom avili ! Qui voudrait, Henri, d’une jeune fille comme moi ? d’une fille vouée à l’opprobre ? Oh ! je ne me le cache pas, celui qui pourrait m’aimer me fuirait bientôt, celui qui me ferait la compagne de son sort me mépriserait, j’en suis sûre !

— Et cet homme serait un lâche ! interrompit vivement Henri ; de quel droit la faute, le crime même d’un père, entacherait-il la robe d’innocence de son enfant ? Mademoiselle, ajouta bientôt le jeune homme, tenez, je suis au service, j’ai combattu trois ans sur les vaisseaux de du Quesne, j’ai cherché la mort dans plus d’un siège ; mais en vous voyant, en vous entendant surtout, je sens que ce n’est pas à mon prince, mais bien à vous, que je voudrais con-