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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

grâce du surintendant et ses longs malheurs avaient altéré d’abord sa raison, maintenant elle ne songe plus qu’à une chose, à réhabiliter la mémoire de son père injustement poursuivi. Qui pourra l’aider dans ce généreux dessein ? je ne sais, mais il est bien digne de celle que j’aime et défends comme votre sœur, Henri croyez-moi, c’est par cette enfant que Dieu vous apprend lui-même la valeur de la vertu et du devoir ; encore une fois, rentrez en vous-même, et si vous ne donnez pas au monde le spectacle de Rancé, effacez du moins en vous jusqu’au souvenir de ce qu’a été Lauzun !

Les paroles de la comtesse avaient fait passer tour à tour la rougeur de la honte et le rayon de l’ivresse sur le front de ce fils qui l’écoutait. L’amour de Paquette se réveillait en lui sous une forme nouvelle, quel était donc ce mystérieux protecteur qui l’avait amenée à madame de Lauzun ? Le comte ne remarqua seulement pas l’attention que sa mère semblait apporter à l’examen de la Bible, qui traînait alors sur la cheminée ; sa mère était pâle, émue, comme si ce livre saint lui eût rappelé quelque souvenir.

— De qui tenez-vous ce livre ? demanda-t-elle à Lauzun avec un son de voix où perçait son trouble.

— Je ne sais, ma mère, et je craindrais de vous dire…

— Parlez, je vous en conjure.

— Eh bien, c’est d’un homme que tout me porte à juger un fou.

— Pour quelle raison ?

— Parce qu’il m’a prédit des choses impossibles.

— Quelles choses, voyons ?

— Par exemple, ma mère, qu’il serait de toutes mes fêtes, qu’il me suivrait des yeux et m’empêcherait de mal faire ; que sais-je, moi ? C’est peut-être un démon vomi par l’enfer, et quelquefois j’en ai peur.

— Vous m’épouvantez, dit la comtesse, affectant elle-même un trouble qu’elle n’éprouvait pas. Cet homme, savez-vous son nom ?