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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Lauzun ouvrit la lettre de sa sœur et la parcourut avec une componction feinte.

— Madame, reprit-il en rendant la lettre à sa mère, chacun a son chemin tracé dans ce monde où tant d’hommes divers se coudoient ; le mien est fini, souffrez que je me repose. Vous me reprochez de négliger la cour, d’y ruiner mes affaires, mais il me semble que Sa Majesté y a mis bon ordre. Que me reste-t-il, sinon la haine du roi et le dédain de mes proches ? La cupidité de madame de Montespan a suivi de près sa vengeance, on m’a trop ravi pour que j’aille demander. Moi, tendre la main, fi donc ! Mon cousin le roi de France est loin de m’aimer, nous nous sommes trouvés dans trop de boudoirs, dans trop de sièges amoureux ; qu’irais-je faire de nouveau à Versailles, à Saint-Germain ? Cet hôtel me plaît, il me suffit, j’y mène une vie royale. La cour tourne à la dévotion, je le vois bien et, vous le savez, je ne suis pas dévot, car j’ai horreur du mensonge. Le roi m’a permis d’aller partout dans la ville pour cela, je lui donne deux principautés, — c’est peu. La précocité de l’esprit du duc du Maine l’a séduit. Ce petit boiteux me vaut seul ma grâce, vous le savez. Que demanderais-je à Sa Majesté, encore une fois ? De me rendre aux eaux de Bourbon, où les médecins veulent m’envoyer ? Mais j’y trouverais madame de Montespan, Maupertuis et ses mousquetaires pour m’espionner. Mademoiselle de Fontagnes occupe le roi, elle fait de grands progrès dans son esprit ; on dirait partout que je veux lui faire la cour comme à Athénaïs de Mortemart[1]. Souffrez donc que je ferme ici le livre qui contiendra mon histoire, souffrez que, maître chez moi…

— Vous ne l’êtes pas, monsieur, vous ne pouvez l’être, interrompit vivement madame de Lauzun.

— Et pourquoi cela ?

  1. Madame de Montespan.