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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Cela est au point qu’il me fait espionner. Quant à Lavardin, il le reçoit, il ne s’en doute pas, il n’est jaloux que de ceux qui me négligent… de vous, par exemple. Ah ! il devient bleu quand on parle de vos succès ! Eh mais ! ajouta la maréchale en se penchant vivement à la fenêtre de la cour, je ne me trompe pas, c’est sa chaise je reconnais d’ici la livrée de ses porteurs. Où fuir… Grand Dieu ! il est impossible de lui échapper, il monte… Bon ! le voilà en conversation dans votre cour avec le prince de Monaco ! Mon cher comte, cachez-moi !

Lauzun, profitant de la peur de la maréchale, lui ouvrit obligeamment une autre porte.

— Et de deux, dit-il en se retournant ; mais qui vient là ?

— Une de vos victimes, répondit une voix flûtée et tremblotante. Lauzun vit une dame masquée ; elle ôta son loup, et il reconnut madame de Roquelaure.

Le damné comte s’attendait à cette visite, car il eut le temps de faire disparaître avec une adresse digne de lui le portrait de madame d’Humières pour le remplacer par celui de la maréchale de Roquelaure, peinte en Hébé.

— Bonté divine ! dit celle-ci, suis-je en sûreté chez vous, monsieur de Lauzun ? L’effroi me talonne, il m’a semblé voir le carrosse de mon mari au tournant du quai des Ormes ; moi je suis venue en fiacre.

— Rassurez-vous, maréchale, vous êtes ici en sûreté. Il ferait beau voir que votre mari se permît de vous suivre jusque chez moi. Il y a, de par Dieu, des oubliettes ici, et le duc y passerait avant de mettre le pied dans ce boudoir.

— On dit tant de choses de votre hôtel, mon cher comte, que je tremble malgré moi. Donnez-moi votre main, et posez-la sur mon cœur ; que vous en semble ? Parlez.

— Que c’est là, madame, un cœur bien coupable, puisqu’il palpite si fort ; serait-ce donc pour moi que vous daignez vous dévouer, pour moi qui vous aime et déteste de bon cœur cet orang-outang coiffé de plumes, qu’on appelle le duc de Roquelaure Un mot de vous, et j’en débarrasse