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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

complaisance son propre portrait suspendu à la cheminée :

— Par malheur, j’ai entendu dire que le petit Lavardin m’avait remplacé dans vos bonnes grâces… Un fat, un homme de rien, qui n’en veut qu’à vos écus. Vous le croyez fidèle, et il passe sa vie avec Seignelay et Camardon dans la société de comédiennes de l’hôtel de Bourgogne ! Ah ! si le maréchal savait combien Lavardin le venge !

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il prend à tâche de vous décrier partout. « Je vous montrerai quelque jour cette belle conquête, disait-il hier à un de ses amis qui est des miens, vous verrez si elle me choie ! J’ai tout d’elle, rubis, émeraudes, nœuds d’épée, et de plus sa terre de Breneville qu’elle m’a promise ! Il faut bien se faire récompenser de ses services ! La maréchale se croit jeune, elle a tout juste un an de plus que Lauzun.

— Lavardin a dit cela ?

— Il y a plus ; il vous a traitée de vieille folle…

— Vieille folle ! vieille folle ! reprit madame d’Humières en se levant ; mais, mon cher Lauzun, savez-vous que c’est un monstre !

— Calmez-vous, de grâce, ma chère maréchale, dit Lauzun en tressaillant d’aise.

— Que je me calme, monsieur que je me calme ! quand je songe que cet ingrat oublie ma clémence et mes bontés. Il m’a fait, sachez-le, pour cent mille livres de dettes !

— Peste ! il va grand train ; mais le maréchal est riche. À propos, comment se porte-t-il, ce cher maréchal ? ses jambes vont-elles mieux ? est-il toujours coquet ? joue-t-il gros jeu ? Il était jaloux de moi jusqu’à la fureur ; je l’ai su depuis.

— C’est un tigre, mon cher Lauzun. Croiriez-vous bien qu’il m’a cité l’autre jour, en pleine assemblée chez moi, l’exemple de madame de la Ferté, en me disant : « Si j’avais trouvé le chevalier de Lignerac, je lui eusse coupé les deux oreilles ! »

— Peste ! voilà un rude homme !