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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

cheminée du boudoir, il prit le portrait de madame de Monaco et le remplaça par une miniature sur émail des plus charmantes.

L’original du portrait ne tarda pas à entrer, mais, en vérité, tout autre que le comte aurait eu peine à le reconnaître. C’était une personne sur laquelle avait déjà passé plusieurs lustres ; elle était encore admirée à bon droit pour la vivacité de son esprit, mais elle n’était plus assiégée comme en son beau temps. Au fard épais qui couvrait alors ses joues, à une toux sèche qui lui était devenue habituelle, à une odeur d’ambre très pronoucée, on devinait assez les ravages du temps : c’était madame d’Humières. Elle s’assit sur l’un des fauteuils du boudoir en respirant les sels d’une cassolette.

— Exacte au rendez-vous, ma chère maréchale, je vous reconnais bien là ! Que j’ai de remerciements à vous adresser ! Dans une occasion toute récente, chez madame de Montespan, je crois, vous avez bien voulu, n’est-ce pas, vous souvenir du pauvre Lauzun ? demanda le comte, en dissimulant la raillerie de sa pensée.

— Comment donc ! cher comte, répondit la maréchale, pensez-vous, d’aventure, que vous soyez de ceux qu’on oublie ?

— Oh ! vous ne m’avez jamais oublié, j’en suis certain. Ni moi non plus, maréchale. La prison serait cruelle sans vous. Je vous y revoyais la nuit et le jour, vous, votre belle chambre, vos deux lévriers et votre toilette en vermeil qui faisait tant d’envie à mademoiselle de Grancey ! Mon Dieu ! qu’on serait triste si l’on n’avait pas votre image présente à la pensée ! Ainsi ai-je fait… voici la vôtre. Voyez un peu ces traits délicats, cet émail. Fouquet me l’a demandé vingt fois dans ma prison. Il voulait peut-être vous placer dans son oratoire, entre madame de la Vallière et Hortense de Mancini.

La flatterie était un peu forte, mais la maréchale mordit à la grappe ; Lauzun continua, en la voyant regarder avec