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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

la Montespan regardait avec tant d’indulgence, même avant Marie d’Aumale et la princesse d’Angleterre. Lauzun était petit, au dire de d’Artagnan ; Louis XIV l’était aussi ; en cela tous deux ressemblaient à Alexandre. Était-ce cette conformité de stature chez l’un des plus beaux hommes de sa cour, que Louis XIV avait d’abord affectionnée chez le mari de Louise d’Orléans ? Lauzun portait sa tête comme je roi, il avait seulement plus de charme et plus de brillant que lui. C’en était assez pour une disgrâce. Toutefois, la prison n’avait point altéré sa constitution d’athlète ; son teint y avait gagné. « Le roi m’a préservé du soleil, écrivait-il un jour à madame de Nogent, sa sœur, remerciez-le ; la prison vaut mieux que les promenades de Jollivet pour avoir le visage clair. » Une fois sorti de Pignerol, le comte s’était redressé, il ne sentait plus le poids de ces voûtes, qui courbèrent si vite les épaules de Fouquet. Curieux d’ajustements, il portait ce jour-là un habit à compartiments noirs semés de perles, habit que Colbert avait taxé la veille de folle dépense, et que les gentilshommes de Saint-Germain s’étaient empressés de copier. Il en avait raisonné la coupe avec Buckingham alors à Paris, Buckingham dont la succession d’élégance échut comme par miracle alphabétique à un homme dont le nom devait commencer, longtemps après, par la même lettre que le sien, — le dandy Brumel. — régence délicate et fine, remplacée par une régence de grog !

Lauzun allait sortir, quand une voix enrouée retentit dans l’antichambre.

— Eh ! morbleu, c’est moi, moi Riom ! Ne me reconnaissez-vous pas, affreux cerbères de mon oncle ! Çà, qu’on m’introduise, ou je casse mon jonc sur vos épaules, hardis coquins !

En vérité, Lauzun lui-même eut quelque peine à reconnaître Riom dans le cadet enluminé de vin d’Arbois qui s’offrit à ses regards.

Riom avait l’œil brillant et la cravate lâche ; il festonnait en marchant un pas de sarabande sur le parquet.