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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

homme est comme qui dirait le diable en chair et en os. Rappelez-vous ces deux apparitions : l’une à votre fête, l’autre à Vincennes. Que venait-il faire sur le mur de ce jardin ? Vous n’ignorez pas les sots contes qui ont cours dans ce quartier, et auxquels vos gens se font une loi de mordre eux-mêmes. J’étais hier soir dans les cuisines, où je gourmandais votre chef de ne point savoir farcir à point les gelinottes, quand un marmiton, qu’ils écoutent tous comme le bel esprit du lieu, parce qu’il sort de chez M. de Mazarin, raconta que sur le minuit, il avait vu, dans votre cour même…

— Dans ma cour ?… Achève.

— Eh bien, monsieur le comte, il avait vu dans votre cour ce diable d’homme qui ne peut être autre chose que Satan lui-même, à voir le soin extrême qu’il prend à contrecarrer nos moindres projets. Il regardait vos fenêtres avec une attention scrupuleuse. Ce qu’il y a de mieux, c’est que votre suisse affirme n’avoir tiré, ce soir-là, le cordon à qui que ce soit. Rassemblant tout son courage, le marmiton, que cette vision glaçait d’effroi, courut sus à lui avec son tournebroche en guise de lance. Ah bien oui ! en deux secondes il s’était abîmé dans l’un des escaliers souterrains qui mènent aux caves.

— Voilà qui est étrange. Aurions-nous ici des farfadets en bouteilles ? demanda Lauzun avec un sourire contraint.

— Laissons cela, et revenons-en à la petite. Je disais donc qu’elle ne veut pas la peine que monsieur le comte se fasse trappiste. Passe encore pour madame de Montbazon, que les embaumeurs disputaient au pauvre Rancé !

— Enfin, Barailles, tu ignores ce qu’est devenue la fugitive ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle n’est plus chez Leclerc.

— Qu’elle soit où elle voudra ! Il ferait beau voir que nous n’eussions quitté Pignerol que pour y songer ! Réveillez-vous, monsieur le comte, au lieu de vous endormir.

— Est-ce au capitaine des gardes de Sa Majesté, au cousin du