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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Et à la lueur d’un réverbère, elle reconnut l’homme qu’elle avait entrevu dans l’une des cours de la prison à Pignerol.


IV

RETOUR DE JEUNESSE.


Ce matin-là, — il était à peine dix heures, — le comte achevait sa toilette avec une tristesse qui n’échappa point à Barailles, le possesseur taciturne de tous les secrets de son maître. Lauzun venait de mettre ses rubans tout de travers, ses bas avaient des plis, ses canons étaient en désordre, il répondait à peine aux demandes de son confident.

— Monsieur le comte, dit Barailles, ne peut avoir oublié qu’il y a loterie ce matin chez madame d’Humières. Madame d’Alluye a refusé le bras de M. de Guitry pour le carrosse de monsieur le comte. On dit que les boutiques de la maréchale seront charmantes.

— N’est-ce pas ? elles seront tenues par l’essaim des plus jolies femmes de la cour, reprit Lauzun en bâillant.

— De quel ton vous dites cela !

— Barailles, je dis cela du ton d’un homme qui s’ennuie.

— C’est la première fois que vous me parlez, monsieur le comte, d’une mauvaise connaissance. L’ennui ! qu’avez-vous de commun avec ce dieu-là ?

— Ce dieu-là, Brailles, a juré de me faire mourir depuis trois jours. J’ai beau l’éviter, il s’attache à moi, il se cramponne aux basques de mon habit, à mes gants, à mon manteau. J’ai beau le fuir, il est toujours là, aussi grave, aussi morose que le front d’un conseiller à la grand-chambre. Tiens, Barailles, tu me croiras si tu veux, mais en écoutant raconter hier l’histoire de Rancé, j’ai pensé me faire trappiste !

— La bonne folie ! C’est pour le coup que nos belles de