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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

vous les devrai ; nous sommes deux à vous aimer et à vous bénir. Jeune, hélas ! j’allais connaître la misère, la honte, le désespoir. Oh ! merci, merci, vous êtes mon ange, mon sauveur, mon seul ami !

» — Je n’ambitionnais que ce seul titre, reprit-il en n’examinant avec un trouble croissant ; vous secourir, madame, doit être le but de tout noble cœur ; mais vous aimer un jour, c’est le prix de toute une vie !

» En parlant ainsi, il paraissait en proie à la fièvre, à l’ivresse, à la folie. J’avais moins tremblé en voyant cette couleuvre de mon jardin, que je ne tremblai en me voyant près de cet homme. Il me répéta des mots de passion, de délire, de désirs immodérés, tantôt se roulant à mes genoux, m’invoquant, me suppliant, d’autres fois employant avec moi le ton de la menace et de la colère. Je me levai bientôt en poussant des cris aigus ; je le repoussai en l’accusant de m’avoir tendu un piège. Mais que pouvaient mes cris, ma détresse dans ce lieu maudit ; Je n’étais pas même la seule réprouvée de cet enfer, car en levant un rideau, il me fit voir avec complaisance les portraits de ses victimes. Il riait en me les montrant d’un rire amer, satanique… Épuisée, mourante, je m’attachai à ses, bras avec une force qui le surprit, une bague était à son doigt ; je l’en arrachai avec tant de promptitude qu’elle alla rouler sur le tapis.

» Maintenant, m’écriai-je, en me saisissant de cet anneau que je passai à mon doigt, j’irai ce soir même demander compte au roi de l’insulte d’un homme dont les armes, données par lui, sont gravées sur cette bague !

» Il ne me répondit pas, mais en cet instant même, je sentis ma langue se coller à mon palais, mes yeux se fermer, mes bras retomber comme vaincus par cette crise. Une demi-heure après, je me retrouvais à votre porte en carrosse, le regard vitré, le front morne, brûlée à la fois par le remords et la fièvre. En me traînant sur les marches de l’escalier, je sentis que j’avais besoin de votre pardon.