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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

roses. Nous partîmes pour Paris, et je ne songeai plus à cet incident.

» La destinée qui allait peser sur vous comme sur moi, devait cependant m’en faire souvenir. À peine arrivés dans la capitale, une nouvelle horrible, accablante, vous renversa. L’épouvante et l’étonnement se peignirent sur tous vos traits, le lendemain je savais de vous-même la vérité. La mémoire de votre père injustement attaquée, le scellé apposé sur ses papiers, la voix publique s’élevant déjà contre lui, tout vous faisait un devoir d’agir. Vous savez quelle part je pris aussitôt à vos alarmes. L’amitié de Pelisson vint alors à notre secours, elle me frayait accès jusqu’à un homme puissant, honoré de la confiance de son maître. Le surintendant disposait de tout : des charges, des crédits, de la clémence même du roi, de la justice de ses juges. Je ne le connaissais pas, mais je le savais grand, libéral, accessible, exempt de la fausseté et des raffinements du vice. On parlait de lui comme d’un homme que le sentiment et la noblesse d’âme gouvernaient. La lettre de Pelisson m’annonçait enfin qu’il daignait me recevoir dans sa maison même, voulant, disait-il, m’épargner l’ennui qui s’attachait aux moindres sollicitations.

» En approchant de son hôtel je me sentis prise, je l’avoue, d’un certain trouble.

» C’était la première fois que j’abordais le monde sans vous depuis notre mariage, je préparais d’avance mes paroles et ma contenance ; il semblait qu’une seule distraction pouvait me perdre. Un valet de chambre me reçut à ma sortie du carrosse, et me conduisit à travers mille détours dans une pièce octogone dont le demi-jour laissait à peine discerner l’ameublement. D’une main tremblante je levai un des stores intérieurs de la fenêtre.

» Je fus surprise, je l’avoue, du choix de cette chambre pour une audience, l’or et la soie y brillaient à profusion, les plus rares peintures en décoraient les panneaux ; c’était un lieu de plaisir bien plus qu’un lieu de travail, un luxe