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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

La pâleur de la tombe, empreinte sur ses traits, ne démentait pas les paroles d’Adrienne. Effrayé des progrès du mal, je ne songeai plus qu’à sauver l’enfant qu’elle portait dans son sein.

Ce fut dans les ténèbres, à minuit, à pareille heure, que le médecin vint m’annoncer à la fois sa délivrance et sa mort. Nouvelle imprévue, terrible, et qui entra au plus profond de mes entrailles ! Dieu dans sa colère me montrait une tombe, dans sa clémence un berceau. Je me résignai, j’emportai mon fils comme un trésor.

Oui, ce fils que je hais, je l’aimai d’abord de toutes les forces de mon âme. En le pressant sur mon cœur, je croyais presser sa mère, je le regardais comme si ma vie ou ma mort dussent sortir de sa bouche ; c’était le dernier, le suprême espoir de mon malheur, mon orgueil et mon amour !

Ce coffret que vous voyez, rompit en un jour le seul lien qui m’attachât à la vie. Dans l’égarement de ma douleur, j’avais oublié d’abord de l’ouvrir ; en y portant la main la morsure d’un aspic m’eût moins blessé.

Leclerc étendit le bras vers le coffret, il l’ouvrit et il en tira une lettre dont les lignes, étaient tracées d’une main tremblante. Son papier jauni, froissé, indiquait assez qu’il avait dû souvent la relire ; en divers endroits l’écriture en était presque effacée.

Elle était ainsi conçue :

« Au moment de mourir et de paraître devant Dieu, c’est à vous que je m’adresse, ô mon ami, je devrais dire mon juge ! Je suis entrée avec vous dans ce monde, pure et sans tache, je serais infâme de vous laisser croire que j’en sors de même. Ce que je n’eusse osé vous dire, je vous l’écris ; ceci est ma confession.

» Il est une crainte qui prend certaines âmes vis-à-vis du bonheur des autres, la mienne fut réelle quand je me vis chargée du vôtre. Non qu’il n’y eût en vous, mon ami, tout ce qui assure et fait présager des jours paisibles ; non que l’avenir à vos côtés ne me semblât doux et propice ; mais