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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sa mante, je mis son masque. Hélas ! c’était un linceul dans lequel j’enveloppais alors cette frêle et noble créature. Je l’attendis en proie à de cruelles perplexités. Le surintendant ferait-il justice à la requête d’un fils désolé ? serait-il ému des larmes d’une femme, et comprendrait-il l’étendue de sa douleur ? Dans de pareilles extrémités, c’est à Dieu que l’on se confie ; je priais encore lorsque ma porte s’ouvrit. Adrienne m’apparut comme un ange libérateur. Elle avait gagné ma cause, un ordre exprès du roi venait de guérir d’un coup ma douleur et mes blessures. La mémoire de l’auteur de mes jours était sauvée, je pouvais reprendre à la fois mon amour et mon orgueil. Je remerciai Adrienne avec effusion. Moi qui avais surpris le premier éveil de son âme, je n’en soupçonnai pas la plaie la plus incurable. Malheureux que j’étais ! je n’admirai que sa beauté, sa grâce, son sourire, et je me dis qu’avec ce sourire le surintendant avait dû se voir aisément vaincu. Je serrai sa main entre les miennes, elle me caressait d’un doux et triste regard. En vérité, ce soir-là je me crus l’égal des anges ! Mon cerveau brûlait, mon cœur battait à se rompre, je pleurai comme un enfant. Grâce à elle, désormais, le souvenir de mon père serait chéri, respecté ; grâce à elle, je pouvais enfin m’enorgueillir des plus nobles penchants de ̃mon cœur ! Je sortais enfin d’un combat long et douloureux, l’honneur de mon père était sauf ; que m’importait le présent ? Ma nature hardie, aventureuse, me pressait, je cédai à sa voix, j’entrepris un long voyage. Pour me séparer d’Adrienne, il me fallait un motif ; en moins de neuf mois, je parvins à rétablir ma fortune.

Ambitieux projets, mobile édifice que celui qu’il me fallut alors construire ! Aujourd’hui encore, à cette heure que j’ai vieilli dans les courses lointaines, que j’ai traversé les mers, on me conteste ce que j’ai pu amasser, on me demande compte du chemin que j’ai mis vingt ans à parcourir ! Dieu m’est témoin pourtant que je ne consentis à l’exil que pour assurer le repos des êtres qui m’étaient chers !