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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Monsieur, dit le vieillard, je suis ravi que vous n’ayez point été blessé dans cette dernière affaire. Vous avez sans doute à me parler, entrons dans mon cabinet.

La douleur et l’inquiétude navraient Henri ; il essuya une larme furtive qui roulait de son œil bleu, et il suivit le vieillard.

Le cabinet de Leclerc ressemblait à un tombeau ; on eût dit que les murs y assuraient le secret, la tapisserie étouffait presque la voix. Un bureau immense, chargé de papiers, en était le seul ornement. En se retrouvant seul ainsi devant le vieillard, Henri se berça d’abord d’une espérance impossible, il crut que son père, gêné par quelque motif inconnu, dans l’élan de sa tendresse, allait enfin lui ouvrir ses bras, le couvrir de ses caresses. Le jeune homme se trompait.

— Qu’avez-vous à me dire, monsieur ? demanda le vieillard en gardant un front de glace.

— Rien, oh ! rien, mon père, si ce n’est que la joie, le bonheur de vous retrouver.

— Assez, monsieur, assez ; moi j’ai quelque chose à vous apprendre.

— Quoi donc, mon père ? parlez, oh ! parlez, dit le jeune homme. Seulement, je vous en supplie, défaites-vous avec moi de ce ton sévère qui m’alarme comme s’il recouvrait un reproche. Je vous le répète, je vous reviens digne de la France et de vous… M. du Quesne pourra lui-même vous dire…

— Je vous crois, monsieur, reprit Leclerc sur le même ton d’aigreur ; aussi n’est-ce point de vous qu’il s’agit ici, mais bien d’une jeune fille que vous avez pu voir, que vous avez vue déjà. Elle était là tout à l’heure.

— Quoi mon père, cette jeune et belle enfant qui venait elle-même vous prévenir ? Je ne la connais pas… mais son air de candeur et de bonté…

— Qu’il vous suffise de savoir que des raisons graves m’obligent à la garder chez moi… Tout le monde la croit ma fille.