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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

s’expliquer cette résistance cruelle, cette aversion que des larmes ne pourraient vaincre ? Dès le matin, Leclerc avait armé son front de rigueur ; dans la maison même, il régnait un air d’inquiétude, Paquette n’osait interroger le vieillard ; elle s’était mise tristement à la fenêtre.

De cet endroit l’œil de la jeune fille embrassait l’enceinte de la place Royale, au milieu de laquelle s’élevait comme aujourd’hui la statue équestre de Louis XIII.

Il était midi, des groupes animés circulaient sous les arcades.

Le soleil éclairait en ce moment un cercle de personnages placés vis-à-vis de Paquette, sur l’un des bancs du jardin, c’étaient pour la plupart des hommes au visage hâlé, aux gestes rudes et expressifs ; ils parlaient entre eux vivement et bruyamment.

Paquette remarqua de longs rubans à leur feutre ; ils portaient l’habit bleu de roi et la ceinture rouge.

C’étaient des marins que M. du Quesne, ne pouvant plus tenir la mer dans la rade d’Alger, avait ramenés en France.

Nombre de bourgeois et d’oisifs les entouraient, suspendus en quelque sorte à leur bouche pour en recueillir de nouveaux détails sur cette merveilleuse expédition[1].

Tous leur demandaient des nouvelles de cette escadre de onze vaisseaux, dirigée par du Quesne et le marquis d’Amfrevilles. Cinq cents esclaves chrétiens, ramenés par eux de l’esclavage pour servir de préliminaire à la paix conclue par les Barbaresques l’année suivante, témoignaient assez en faveur du courage de nos marins ; aussi la foule devenait-elle de moment en moment plus compacte autour de ces hommes échappés à la mort et à ses dangers.

Ces natures vigoureuses tranchaient vite à l’œil de l’observateur sur la teinte commune et uniforme des curieux. Paquette elle-même eût voulu descendre pour

  1. Le second bombardement d’Alger.