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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Je ne suis point souverain, poursuivit le maréchal, si ce n’est ce soir, où, sous la perruque de Jupiter…

— Vous commandez à l’Olympe, n’est-il pas vrai ? demanda vivement M. de Grammont ; apprenez-nous donc, de grâce, mon cher maréchal, la surprise que madame de Roquelaure et madame d’Humières nous tiennent en réserve.

— Et qui sait ? dit Roquelaure avec sa causticité ordinaire, c’est peut-être une bonne fortune pour vous, monsieur de Grammont ! Ne vous posez-vous pas à la cour comme le successeur de M. de Lauzun ?

— Moi, ! répondit Grammont, je laisse cet emploi à la feuillade !

— Moi, dit la Feuillade, Je m’en démets volontiers aux mains de Cavoie.

— Et moi, messieurs, je le garde pour moi tout seul, reprit Roquelaure. Il est juste, ma foi, que la laideur ait son temps ; qui sait si le bon vouloir du propriétaire de cet hôtel ne m’est point acquis ? C’est peut-être à moi que vient d’échoir ce beau domaine, ces peintures que vous admirez vous-même, vous, monsieur le président Robert[1], qui êtes un fin connaisseur. Ce ne serait pas trop de me donner Chambord, si on le donnait à l’homme le plus laid de France !… Lauzun !… qu’était Lauzun ? reprit en s’animant Roquelaure. Un homme bien tourné, mais un cadet de Béarn. Il représente bien le champignon que l’on voit levé le matin, et dont il n’y avait la veille aucune apparence. Être devenu, comme il le fut, général de dragons, puis capitaine des gardes du corps de Sa Majesté, puis comte, en attendant qu’un jour il soit duc ou prince !… et se voir enfermé maintenant entre quatre murs dam la citadelle de Pignerol, c’est n’être qu’un favori manqué !

— Par ma foi ! monsieur le monsieur le maréchal, voilà une belle oraison funèbre, digne de Bossuet ou de Fléchier, reprit madame de Roquelaure en prenant le duc par le bras ;

  1. Assidu depuis au jeu de Lanzun.