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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

quette et surtout sa rentrée dans cette maison, l’indisposaient.

Reprenant toutefois son air digne et calme :

— Quand M. Leclerc reviendra de Marseille, interrogez-le sur ce beau jeune homme, mademoiselle, dit-elle à Paquette. Vous occupez sa chambre, en attendant qu’il puisse la revoir ; mais le pourra-t-il, quand l’année dernière encore il a manqué périr auprès de M. Duquesne dans son expédition contre les corsaires de Tripoli ! Voilà maintenant qu’il bombarde les Algériens.

— Et vous n’en avez aucune nouvelle ?

— Aucune ; si bien que pour moi, j’étais tentée d’écrire au roi du Maroc. Comme il est devenu depuis peu l’ami du roi.

Paquette continua à regarder le portrait avec intérêt en le comparant même à celui de la jeune fille, elle crut trouver entre ces deux physionomies quelques traits de ressemblance. Étaient-ce le frère et la sœur ? Ramenée tout d’un coup à la solitude de cet intérieur nouveau pour elle, redoutant Lauzun, et ne voyant guère qu’Ursule, elle finit par prendre en patience cette autre prison, tout en accusant de cruauté Saint-Évremont, qui la lui avait pour ainsi dire prescrite. Ne pouvait-il donc, pensait-elle, la recommander à tout autre homme que Leclerc ? Ce mystérieux ami qui lui écrivait, le connaissait-il, venait-il de La Haye, était-il envoyé par lui ? Quinze jours s’étaient passés depuis son retour dans cette demeure, et Paquette réfléchissait encore à toute la tristesse d’une pareille situation, quand un bruit de carrosse retentit à la porte du jardin. La nuit était si noire, qu’en se penchant à sa fenêtre, il fut impossible à la jeune fille de distinguer autre chose qu’un manteau d’homme… L’épaisseur des ténèbres et les précautions sourdes avec lesquelles on semblait s’introduire dans le jardin du financier, jetèrent le trouble au cœur de Paquette, elle courut vite éveiller Ursule qui ne se vit pas sans peine arrachée aux douceurs d’un premier sommeil.