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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— M. Leclerc, reprit-elle, vous aurait-il donc parlé de cette peinture ?

— Jamais, reprit Paquette ; mais je suis superstitieuse. Quand j’étais petite, on me faisait trembler rien qu’en me laissant seule dans une chambre où il y avait le portrait d’une personne morte.

— Celui-ci, en revanche, n’a rien de sévère, dit Ursule en ayant soin de promener la lueur de sa bougie sur un autre cadre qui représentait un jeune homme avec un habit d’enseigne. Pauvre M. Henri ! si vous le connaissiez, vous l’aimeriez, j’en suis sûre. Voici bientôt un an qu’il ne nous a écrit, ajouta Ursule avec un soupir ; pourvu qu’il ne lui soit pas arrivé quelque malheur !

— Quel est ce M. Henri ? demanda Paquette ; est-il parent de M. Leclerc ?

— C’est son parent, mademoiselle, oui, c’est cela même, répondit la gouvernante avec volubilité et comme pour cacher son embarras ; mais comment se fait-il que vous l’ignoriez, vous que M. Leclerc appelle sa fille ? ajouta malicieusement la vieille Ursule en reprenant son aplomb.

Paquette ne jugea pas sans doute à propos de répondre à cette question insidieuse, elle examina de nouveau la physionomie du jeune enseigne.

Elle était naïve et fière à la fois, les lignes en étaient accentuées avec bonheur. Un air de franchise et de courage s’y faisait jour, le front était haut, les yeux vifs, la pose hardie ; seulement, un léger voile de tristesse obscurcissait ces traits fins et nobles, la lèvre souriait d’un sourire presque sceptique. Paquette observa fort bien que durant le temps qu’elle considérait le portrait, Ursule la considérait aussi, comme si elle eût attendu son avis sur l’original. Morose, goguenarde et curieuse avant tout, la gouvernante de Leclerc représentait au naturel une gouvernante d’abbé, elle était furieuse de ce que son maître eût un secret qu’il ne lui dît pas. L’introduction de Pa-