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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

muette contemplation. Nulle inscription, nulle date n’était annexée au cadre, seulement au-dessous il y avait un voile, un éventail, un masque et des gants de femme à ruches noires.

Quel était ce portrait que les yeux de Paquette rencontraient pour la première fois, ce portrait que Leclerc avait placé dans l’endroit le plus sombre et le plus reculé de cette pièce ? Vivait-elle encore, cette femme jeune et belle que sa propre toilette attendait au bas de son cadre ? Ou bien la mort avait-elle fermé ces lèvres de corail, ces yeux animés d’un voluptueux sourire ? Une étrange stupeur s’empara bientôt des sens de la jeune fille quand elle crut voir ces yeux peints, immobiles, la regarder tout d’un coup. La bouche elle-même semblait murmurer des paroles lentes et confuses, la pâleur marbrait ses joues, la teinte du portrait était presque livide… Une odeur de tombe s’exhalait en même temps de ce cadre, la chambre où était Paquette s’illuminait de la clarté de vingt cierges. Peu à peu la toile s’obscurcit à ses regards comme sous une brume qu’aurait produite la fumée, les traits de cette peinture se confondirent, Paquette ne vit plus qu’une large tache blanche…

Elle tressaillit, mais elle n’osa crier ; on eut dit alors qu’elle même succombait. Était-ce une hallucination de son esprit à cette heure où le jour lutte encore avec les ténèbres, ou bien avait-elle réellement aperçu ce terrible phénomène ? Quoi qu’il en fût, Ursule en pénétrant dans la chambre, son bougeoir en main, trouva Paquette étendue, les bras roides et froids, sur le sofa.

— Quel est donc ce portrait ? demanda-t-elle à Ursule dès qu’elle pût remuer les lèvres.

— Ce portrait, mademoiselle, reprit la gouvernante de Leclerc, tremblante elle-même, c’est celui d’une personne morte !

En disant ainsi, Ursule se hâta de porter la lumière à l’opposé du portrait ; on eût dit qu’elle avait peur.