Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome2.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Encore bouleversée des idées terribles qui l’agitaient, elle parcourut donc cette épître où le comte, rompu de bonne heure à tous les sièges, n’avait pas épargné les frais de poésie et d’éloquence. En lisant, Paquette se sentit touchée. Non, ces flatteries ne mentaient pas, ce langage était bien celui du cœur, ces plaintes douces et tendres ne pouvaient cacher un piège. Lauzun s’excusait, dès le début, d’avoir causé la ruine et la misère de Paquette ; c’était à lui seul que la jeune fille devait son renvoi du Luxembourg. Il l’avait suivie les larmes aux yeux, l’angoisse dans le cœur, mais la dame choisie par Mademoiselle pour accompagner Paquette l’avait effrayé non moins que la vieille Ursule. Le dragon qui gardait le jardin des Hespérides était assez alarmant, et cependant, ajoutait Lauzun, celui de Leclerc gardait un trésor mille fois plus précieux : une jeune fille possédant toutes les ressources de la beauté, de l’esprit. Cette enfant, la seule âme, la seule joie de sa prison, un hasard propice la lui faisait retrouver ; il ne fallait pas qu’elle fût triste, malheureuse. Le passage suivant émut surtout le cœur de Paquette ; il était empreint de cette teinte mélancolique dont l’effet calculé échoue rarement sur un jeune cœur :

« Que ne suis-je un de ces hommes à qui la fortune sourit, qui n’ont qu’à parler pour que tout cède à leurs désirs ! Les vôtres seraient comblés, je serais bien vite le plus dévoué de vos esclaves ! Mais vous connaissez ma chaîne, elle ne me laisse que la tristesse, le découragement, l’ennui. En me voyant malheureux, pourrez-vous comprendre tant d’amour ? Ai-je seulement le droit de vous dire que je vous aime ! Je compte pourtant sur votre étoile pour compenser tous les nuages de la mienne. Belle et jeune, vous avez le ciel pour vous ; souriez à ceux qui souffrent ! Me pardonnerez-vous d’avoir attiré sur vous la colère et la défaveur de Mademoiselle ? Me punirez-vous, moi, que le ciel semble avoir pris à tâche de punir ? Non, vous êtes bonne, vous me reverrez, vous m’entendrez ! »