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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

de votre présence. La clef de votre cœur est à vous, gardez-la bien. Loin de moi la pensée de vous attrister par des craintes anticipées sur l’avenir, mais je ne suis pas le seul qui tremble, je ne suis pas le seul à considérer cet homes gros d’orages. Un jour, bientôt peut-être, ce mystère s’éclaircira ; dans peu, je l’espère, succédera pour vous à la protection de Mademoiselle, qu’une indiscrétion du comte vous a fait perdre, une protection plus ferme et qui vous sera plus chère. En attendant, restez où vous êtes, ne hasardez point un seul pas hors de cette maison. Le sang me monte au visage, les pleurs me viennent aux yeux en songeant à ce que cet homme peut tenter, lui que la prison n’a pas même rendu meilleur ! Adieu, je vous suis à chaque minute ; bien qu’absent, je veillerai sur vous tant qu’il me restera un souffle de vie. Aurais-je eu tort de compter sur vous, aurais-je eu tort de me dire que vous étiez faite pour trouver le bonheur dans le seul accomplissement de vos devoirs ? Oh ! non, j’en suis sûr et c’est à cette confiance que je dois la pensée de vous écrire. Adieu, encore une fois.

 » Votre ami. »


L’étonnement singulier de la jeune fille, en recevant cette lettre, fut tel qu’elle ne pût d’abord rassembler ses pensées ; d’une part, on l’avertissait de se tenir en garde contre l’amour de Lauzun ; de l’autre, un protecteur mystérieux veillait sur elle. Elle rencontrait à la fois le guide et le précipice, l’orage et le port, tout cela comme par enchantement, tout cela dès son premier pas sur le pavé dangereux et glissant de la grande ville. Son premier mouvement fut de se jeter à genoux et de remercier le ciel instinctivement, elle joignit les mains et balbutia une prière. Mais l’autre lettre était là, entr’ouverte par sa main blanche, il s’en échappait un parfum muet, tentateur ; Paquette avait l’antidote, pouvait-elle redouter après cela le poison ?