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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

fut surprit. À dater de ce jour, Paquette éprouva pour le comte une compassion plus tendre, il lui sembla que c’était on crime d’enfermer un homme qui chantait si bien. Lorsque les insectes de la nuit bourdonnaient sous l’herbe, quand la brise seule murmurait aux créneaux sombres, Paquette se surprenait à examiner la fenêtre grillée du captif. Cependant un sentiment instinctif de terreur agitait parfois son âme ; un frisson de glace courait dans ses veines en s’approchant de cet homme… Devait-il donc un jour influer sur sa destinée ? Devait-elle le revoir maître de nouveau de ses actions, échangeant sa tristesse contre un sourire fier et victorieux, reprenant son rôle comme un acteur, relevant la tête et disant enfin : C’est moi ? Serait-il pour elle un bon ou un mauvais ange, ou n’était-ce qu’un génie méchant interrogeant le monde dans lequel il allait rentrer avec un tressaillement cruel ; celui du tigre blessé qui retrouvé son ennemi ?

Retirée dans la chambre que lui avait donnée Leclerc Paquette venait d’ouvrir un l’herbier qu’elle s’était composé à Pignerol : il en tomba un papier plié.

Ce papier mince et frêle comme une feuille desséchée contenait des sentences et des réflexions dont elle eût peine à se rendre compte tout d’abord ; elle remarqua celle-ci :

« Le fruit le plus doré cache le ver, la couleuvre effleure les gazons et s’y endort.

» Le malheur n’est pas toujours le sort du bon et du beau, Babylone a péri comme Sodome.

» Il y a des comédiens qui pleurent pour attendrir. Le crocodile pleure aussi.

» La passion qui naît dans l’isolement et la tristesse éclate comme un feu couvert ; le cœur d’une femme n’est jamais si rempli d’affliction qu’il n’y reste un coin pour l’amour. »

Il y avait aussi quelques versets tirés de l’Apocalypse de saint Jean ; ceux-ci étaient soulignés :