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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Je te conterai cela un autre jour… Parlons d’abord de toi, de tes projets. Ton père t’a donc confiée à Mademoiselle ?

— Hélas ! oui, répondit-elle, mais je tremble que ce palais…

— Ne t’ennuie à la longue ; parbleu ! je le crois. Mademoiselle jugé bon d’en faire un Versailles au petit pied ; ici on obéit à la princesse comme au roi, et le son de la cloche du Luxembourg a le son aussi triste, aussi fêlé que la cloche des Carmélites.

— Vous me faites trembler, moi, qui crains tant de déplaire à la princesse ! Elle est peut-être plus sévère encore que vous ne le dites. Me permettra-t-elle d’aller dans les champs comme on me le permettait à Pignerol, et d’y cueillir ces petits bouquets qui vous plaisaient tant ? Vous savez aussi que j’aime les livres à la folie : les Mille et une Nuits, par exemple, où il y a toujours des princes charmants et des princesses si belles ! Tenez, je lisais, il n’y a qu’un instant, un conte de fée qui me faisait un plaisir…

— Lequel donc ? voyons… demanda Lauzun en se rapprochant de Paquette.

— L’Anneau de Gigès, tel est le titre. C’est là un beau conte, un conte, délicieux.

— Oui, mais par malheur ce n’est qu’un conte, répliqua Lauzun ; ne m’en parle pas, autrement tu renouvellerais toutes mes douleurs…

— Eh quoi ! monsieur le comte, auriez-vous connu Gygès ? demanda Paquette avec une apparence de naïveté, connaîtriez-vous comme lui le secret d’être invisible ?

— Pas tout à fait, dit le comte en voyant s’ouvrir avec intérêt sur lui le regard tendre et bleu de la jolie curieuse. Cette fois, Paquette, qui aimait les contes comme un enfant, s’était rapprochée de Lauzun qui semblait tout rêveur.

— C’est un anneau magique, poursuivit Paquette, ce Gygès fut bien heureux !