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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

trouva seule, et écrivant à une table en bois de laque.

L’appartement occupé alors par mademoiselle de Montpensier an Luxembourg, témoignait assez de la richesse du temps, il était chargé de sculpture et d’or à profusion ; il y avait au milieu une belle peinture de Charles La Fosse.

Les meubles, les tapis en étaient éblouissants.

Grâce aux larges fenêtres, en pouvait se croire encore dans le jardin rempli de charmilles, de jets d’eau, d’allées couvertes.

Un grand portrait de Gaston, duc d’Orléans, était le seul tableau de famille qui décorât cette pièce ; vis-à-vis du cadre de son père, la princesse avait placé celui de Lauzun.

Sur cette toile, où le duc était en pied, il conservait l’uniforme de capitaine des gardes de Sa Majesté ; il avait le regard fier et la pose dominatrice. Il eût été facile à un analyste de reconnaître sur ce front l’indice d’une nature exceptionnelle ; il y avait à la fois dans cette peinture de la glace et du soleil. Tour à tour attrayant et répulsif, hardi, hallucinateur, ce visage revêtait toutes les couleurs du prisme, il révélait tour à tour un esprit ambitieux et un cœur froid, des instincts fougueux et un calcul résolu. Le nez était long, sa ligne tombait sur une lèvre fine et pâle. Le corps, bien que robuste, semblait s’affaisser sous une flamme trop vive ; sa taille était haute, les mains fort belles, trop belles pour les mains d’un homme. Il devenait impossible de considérer ce portrait sans curiosité ou sans émotion ; il plongeait surtout le cœur d’une femme dans une préoccupation pleine de trouble. En le regardant pendant que la princesse écrivait, Paquette ne put se défendre d’un tressaillement léger.

Non-seulement Paquette avait habité les mêmes murs dont les portes impitoyables s’étaient fermées sur Lauzun, mais elle avait pour lui cette admiration jeune et vive qui s’attache toujours aux grandes infortunes et aux grands