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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

l’embellir. Des pages métamorphosés en faunes glissent sur le parquet ; des amadryades, qui portaient le tablier et la cornette le matin encore, verseront le vin qu’a fourni Crenet chanté par Boileau.

On se croirait dans quelque palais de Venise. Les girandoles de cristal brisent leurs reflets étoilés sur les plafonds dé Lesueur, les fleurs répandent leurs arômes délicats autour des portraits de Mignard. À voir ces tapisseries, ces meubles, ces flambeaux, dignes de Versailles, un étranger s’attendrait à l’entrée du prince lui-même, il se placerait à l’écart, dans un silence recueilli.

Cependant, les gentilshommes et les seigneurs s’abordent en souriant avec embarras ; cette fête est une énigme pour eux, tons ont en main leur billet d’invitation, et tous s’adressent de mutuelles questions.

— C’est pourtant bien l’écriture de la maréchale d’Humières, dit l’un, et cependant je ne sais à quoi attribuer cette bonne fortune !

— Moi, c’est la jolie marquise d’Alluye qui m’a invité !

— Moi, c’est madame de Grammont !

— Moi, c’est mademoiselle de Retz !

— Moi, mademoiselle de Créquy !

— Moi, messieurs, c’est ma femme, dit le duc de Roquelaure.

— Voilà qui devient curieux, reprit le marquis de la Fare en s’avançant, un bal de dames ! un bal dans ce vieil hôtel que je croyais livré aux chouettes et aux hiboux !

— Aux colombes, mon cher marquis, voyez plutôt là-bas l’élite de la cour, représentée par les plus belles, dit le duc de la Feuillade ; l’Olympe de ces déesses est présidé par madame de Roquelaure !

— À laquelle son expérience donne le droit de savoir les secrets des dieux. — N’est-il pas vrai, maréchal ? demanda ironiquement Cavoie.

— Monsieur de Cavoie, je ne siège point au conseil