Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

encore à mon oreille, où l’ai-je donc entendue ? Un instinct secret m’avertit que je dois le haïr, cet homme ; en quel lieu nous sommes-nous donc rencontrés ? Ah ! Dieu m’est témoin que je donnerais ma vie en ce moment pour la sauver, ma vie pour connaître son ravisseur ! Quelque espion vendu à la France ! Ils vont me reprocher d’avoir voulu défendre ma liberté, mon pays ! Hélas ! à cette heure fatale, je ne défendais que celle qui m’avait remis le soin de son sort ! Je protégeais en elle une femme qui m’avait donné sa vie ! Ils ignorent, ces juges, qu’il ne s’agit pas ici seulement de son existence, mais encore de celle d’un être qu’elle porte dans son sein. Gage sacré, gage cher ! Elle était ma femme devant Dieu, ne pouvant l’être encore devant les hommes. Je l’aimais d’un amour sincère ; le ciel eût béni notre union ! Grâce à moi, déjà la misère fuyait son toit. Devant son amour, que m’importait le courroux de sa famille ? Et maintenant je ne suis plus pour elle que le condottiere Pompeo !

Telle était l’amertume de mes pensées depuis qu’on m’avait séparé d’elle. L’endroit que nous habitions était Parme, et le podestat de cette ville me haïssait. Il me fit tout d’abord jeter au fond d’un cachot isolé de ceux des autres prisonniers, le jour en était banni et remplacé par la lueur mourante d’une lampe. Ce caveau était célèbre : plusieurs nobles captifs l’avaient illustré ; leurs noms, inscrits sur ces murs avec des versets pieux, me redonnèrent du courage. — Vivons, me dis-je, au lieu de mourir lâchement ; ne nous laissons pas abattre par l’infortune ; n’aurai-je donc pas un jour deux êtres chers à défendre ? N’ai-je pas le droit de compter sur mes amis ? Qui sait ? mes chaînes tomberont peut-être, grâce à eux !

Cet espoir, si insensé qu’il fût, me rendit mon énergie. Je fis demander des livres, du papier, tout ce qu’on accorde aux prisonniers ordinaires ; je comptais instruire de mon sort des cœurs fidèles ; on me refusa tout, jusqu’à la chétive ration donnée aux voleurs. La mienne était si restreinte,