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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

larmes. Une terreur soudaine glaçait son esprit ; elle était pâle, elle tremblait.

— Qu’avez-vous ? lui demandai-je en serrant ses mains froides entre les miennes.

Elle me raconta qu’à diverses reprises un homme, dont elle ignorait le nom, avait tenté de s’introduire chez moi, tantôt par la menace, d’autres fois par la douceur ; qu’il avait, en mon absence, interrogé mes gens, et que ce pouvait être un espion. Elle ajouta qu’il portait un masque, qu’il était de taille moyenne, et qu’il ne sortait guère qu’à la nuit. Il ne me vint pas à l’idée un seul instant que cet homme pût être amoureux ; je me savais en butte à la délation, je résolus de prendre mes mesures. J’armai mes domestiques, je fis le guet, je ne vis rien. Un billet trouvé par moi dans le jardin m’alarma ; il y était question de menaces contre l’unique amour de ma vie ; ma compagne était vouée aux plus grands périls, si elle ne se confiait immédiatement à la conduite de l’homme qui viendrait la chercher vers l’heure de minuit. Une chaise de poste devait la recevoir et la ramener à Florence dans sa famille. Ce billet ainsi placé sur l’un des bancs du jardin, attendait la malheureuse à sa place accoutumée… Tout, ce jour-là, devait éloigner la supposition de mon retour ; j’arrivais heureux, le cœur palpitant d’une récente victoire ; j’avais intercepté des dépêches qui allaient peut-être décider de la fortune d’un empire ; ces dépêches étaient signées de Richelieu !… La nuit venue, je me cachai et j’attendis… À l’heure indiquée, j’entendis d’abord le roulement d’une voiture sous les fenêtres, puis j’entrevis dans l’ombre un homme en manteau qui se dirigeait vers l’escalier. Je retins mon souffle et j’armai ma carabine.

Bien des fois elle a fait feu sur des traîtres, me dis-je en posant le doigt sur sa détente. Oh ! malheur à celui-ci !

En ce moment un voile épais couvrit mes yeux, ma langue se colla à mon palais, mes genoux tremblèrent sous moi…