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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

d’unir mon sort à une si noble personne était peut-être folle, il est vrai, elle pourrait même passer pour de l’ambition : celle que je nommais déjà ma fiancée au fond de mon cœur était l’héritière d’un nom et d’une fortune dont l’éclat dépassait le mien. Au moment où j’allais former la demande de sa main, j’appris mon malheur et ma ruine… Le soir de ce coup terrible il ne me restait plus qu’à fuir ; d’avides créanciers se partageaient mes dépouilles, lorsque je reçus un mot ainsi conçu :

« Ne désespérez pas, seigneur Pompeo, si vous êtes pauvre ; moi, grâce à Dieu, je suis riche. Je crois aller au-devant de vos désirs en vous engageant à demander ma main à mon oncle. Vous êtes de bonne maison, je vous sais loyal, mais je vous sais aussi malheureux ! Je n’ai que ce moyen de vous sauver ; peut-être, assurera-t-il mon bonheur en même temps que le vôtre. Mon oncle demeure à la villa Gritti, avec ma mère, moi je suis en retraite pour tout le mois au couvent de San-Ambrosio… C’est là que j’attendrai votre réponse.

« Teresina. »

En recevant cette lettre, la joie pensa m’étouffer. Moi qui croyais indigne d’un tel trésor, j’allais m’en voir possesseur ; moi, que la ruine et le désespoir écrasaient, j’échappais au désespoir et à la ruine ! À la nuit tombante ; je me trouvais devant la villa Gritti. Ma demande y fut reçue avec hauteur, le dédain et la froideur m’acablèrent. On savait le renversement de ma fortune, qu’importait après cela ma noblesse ? J’avais assez de ma honte, je ne voulus point qu’un autre la partageât ; je ne montrai donc pas la lettre que j’avais reçue, lettre qui autorisait ma démarche. Je revins désolé au couvent de San-Ambrosio ; là, j’appris à ma jeune et douce bienfaitrice le résultat de ma mission.

— Votre oncle, ajoutai-je, a donné déjà sa parole au chef d’une famille aussi élevée que la vôtre, il ne me reste plus qu’à vous remercier et à fuir. Demain, m’a-t-il dit, on