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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sérables, je prenais plaisir à ne porter que des étoffes de luxe, je me signalais partout par ma dépense : Florence entière s’enorgueillissait de moi. Ma vie était celle d’un fils de famille somptueux et désœuvré ; les jeux, les folles amours la composaient. À vingt ans, j’étais l’unique rejeton d’une famille noble, opulente ; mes chevaux, mes armes, mes laquais étaient cités. Un vent de malheur souffla tout d’un coup sur moi : l’infidélité d’un intendant causa ma ruine. À la première nouvelle de ce désastre, je me hâtai d’accourir à la maison de cet intendant, éloignée de quelques lieues de la ville. Les abords de cette maison étaient sinistres : les hurlements des chiens répondirent seuls au coup de marteau que je frappai. Cet homme… je l’avais à peine entrevu ; il me suffisait qu’il fût mon fermier et que je reçusse de lui des sacs d’or. La source de ce Pactole une fois tarie, je me présentai donc chez ce mandataire inconnu. En approchant du lieu où il s’était renfermé, je fus saisi d’une terreur subite, instinctive : il me sembla que j’allais assister à quelque spectacle étrange… Une odeur acre de fumée s’échappait de la pièce où était alors l’intendant. Comme il ne répondait pas à mes cris, je poussai la porte et j’entrai. Au milieu de la chambre, je vis plusieurs récipients et alambics ; à côté d’un fourneau, un homme était étendu.

Quel spectacle, juste ciel ! L’un de ces vases d’alchimie dont il se servait venait d’éclater, des brûlures récentes, hideuses à voir, défiguraient son visage… L’instant d’avant il demandait la fortune à des creusets menteurs, une seconde après c’était un monstre ! Son seul aspect me fit reculer d’angoisse, de pitié, d’épouvante ! Comme il vivait dans ce lieu sans aucun valet, je courus de nouveau à la ville ; une heure après, je rentrai dans mon palais qu’on parlait déjà de vendre… Ce fut seulement alors que je jugeai à propos de m’enquérir de la conduite de ce misérable. À peine arrivé en Italie, on l’y avait vu étudier d’abord la médecine avec zèle ; il s’était introduit, grâce à son esprit et à ses manières, chez mon oncle, le marquis de Pizani. Mon