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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

son collier de perles ; elle laissait tomber sur le jeune homme un regard subtil, pénétrant.

— Malheureux au jeu, heureux en amour ! Vous ne jouerez pas, mon gentilhomme ! dit-elle à Charles d’une voix maligne ; c’est le proverbe, et vous n’allez pas lui donner un démenti !

Olympe était belle de cette beauté de convention dont toute femme asservie au théâtre se montre fière. Elle avait de longs cheveux noirs comme l’aile d’un corbeau, et la peau d’un lustre éblouissant. Sa robe étoilée laissait à découvert ses bras nus, Bois-Robert avait comparé dans un sonnet ses joues à la pêche et sa bouche au muscat. Dans ce temps-là, les poëtes étaient des peintres ; un portrait d’eux suffisait. Olympe eut un jour grand mal à l’un de ses yeux, et Saint-Amant lui avait adressé les stances du Bel Œil malade. On citait ses mourants, au nombre desquels on rangeait le beau marquis de Prinçay. Quand Charles tira sa bourse, Olympe ressentit un frémissement égal à celui de la couleuvre au soleil ; elle comprit tout sans l’aide de Bellerose.

Bellerose, appuyé alors au bras du Capitaine, faisait le tour des tables de jeu ; il s’arrêta à la principale, celle de son ami Eudes Roquentin.

Roquentin était un de ces braves garçons qui se croient élevés au troisième ciel dès qu’ils ont touché la main d’un comédien ou d’un poëte. Il ne jouait pas, mais il aimait à voir jouer, les coups et les exclamations des joueurs le récréaient. Les syrènes de l’hôtel de Bourgogne nageaient dans ses eaux sans que le beau jeune homme en soupçonnât le limon. Il tenait table ouverte et se laissait gruger par ses amis, sous le spécieux prétexte d’être grand et libéral. Bellerose s’en vint lui frapper familièrement sur l’épaule.

— Tu ne joues pas ? lui demanda~t-il.

— Je n’oserai jamais tenir la banque contre monsieur, objecta timidement Roquentin.

— Ce sera donc moi qui la tiendrai, reprit le capitaine