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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Voilà, s’écria-t-il, le livre par excellence le seul que les jeunes gens de famille doivent étudier ! Par la morgoy ! les hommes de cour y puisent mieux qu’ailleurs des leçons de gentillesse. Il guérit de tout : de la fièvre, du mal de dents, de l’hydropisie et même de l’amour ! Vive à jamais le jeu, il vaut mieux que la bouteille ! Laisse-toi donc combler de ses faveurs, mon jeune ami ; viens, suis-moi bien vite chez Eudes Roquentin, notre ami, qui demeure au pont de la Tournelle. Roquentin nous prête son gîte, sa table et son vin. Tu conviendras toi-même que nous serons là plus en sûreté pour notre jeu que chez ton père. À propos, tu n’as pas de nouvelles de l’homme à la bourse ? Je ne sais pourquoi ce drôle, avec sa rapière, ne me présage rien de bon.

— Bellerose, mon ami, vous êtes fort mal dans les papiers de maître Philippe, dit Charles d’un ton sévère et contraint. Il m’a dit que demain il vous demanderait de le payer.

— Ah ! il a dit cela, le vieux renard ? reprit Bellerose d’un ton léger. Il croit, n’est-il pas vrai, que je te dérange ? Qui diable a mis cet homme-là dans ta famille ? Il ferait beau voir que tu vécusses ici entre des pintes et des verres ! L’ingrat ! quand je songe qu’il me doit tout !

— Oui ; mais tu lui dois. Allons, rassure-toi ; je payerai.

— Tu payeras, as-tu dit ! Et l’on parle de Castor et Pollux ! Charles, laisse-moi t’embrasser ! Mais ne va pas croire, au moins, que j’accepte ; non, je veux jouer, je veux payer dès demain ce père barbare. Te donne-t-il seulement de quoi jouer à la fossette ? Réponds.

— Tu vois cette bourse ? elle est assez bien garnie, reprit Charles.

— Tu ramasseras le triple de cet or sur les tables de Roquentin.

— Mais Mariette, mais mon père ?

— Ils reposent tous deux, qu’as-tu à craindre ?

— Ainsi, tu veux que je joue ?