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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

En prononçant ces paroles, Mariette avait peine à contenir ses sanglots.

— Eh bien, je resterai, dit le jeune homme attendri, je resterai puisque tu le veux, Mariette ! Ton amour me guérira de ma folie, folie cruelle en effet que ce mal pris au hasard, cette pensée qui consume et qui déchire ! Comment ai-je connu cette grande dame ? je ne sais, mais elle a jeté sur moi un regard si triste, que tout d’abord elle m’a ému… Tu connais le boulevard de l’Arsenal, c’est là, Mariette, que je la vis pour la première fois, il y a six jours. Elle était alors à cheval et fendait l’air avec une rapidité qui pouvait ressembler à de l’imprudence. Un vieil écuyer l’accompagnait, de temps à autre cherchait à la modérer dans cette course fougueuse… Excité bientôt par le bruit de la forge et des marteaux d’un atelier, son cheval l’emporta ; ce fut alors…

— Que vous vous précipitâtes à la bride du cheval ; je sais cela, je l’ai vu.

— Comment, Mariette ; comment, toi ! dit le jeune homme étonné.

— Le lendemain, vous entendiez la messe, par hasard, à Saint-Gervais, et cette dame s’y trouvait. En sortant, vous lui présentâtes de l’eau bénite. Le surlendemain, toujours par hasard, vous étiez au Cours-Royal, elle y passait en litière avec sa camériste, une vieille Moresse. Par malheur, aussi, ce n’est pas vous qui l’avez sauvée, quand des voleurs l’attaquaient ce soir ; c’est un cavalier qui vous à ravi cet honneur-là…

— Je saurai le nom de cet inconnu, reprit Charles avec chaleur, je le provoquerai, je le tuerai ! Mais, dis, Mariette, comment se fait-il que tu sois instruite si pleinement de ce que je fais, tu me racontes là toute ma vie d’une semaine, ajouta le jeune homme avec une visible inquiétude.

— C’est mon secret, répondit Mariette. Une sœur doit-elle ignorer ce que fait son frère ? Tout votre tort, Charles, est de ne me l’avoir point dit. J’eusse pu de la sorte apaiser