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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

continuera à déjouer tous les efforts de votre police. Quand vous recevrez ce billet, vous prodiguerez vainement les menaces et les recherches. Un devoir impérieux m’a seul fait quitter l’Italie ; je ne venais pas, croyez-le, vous voir ou vous chercher dans Paris ; je ne venais pas non plus y recommencer les intrigues de Léonora Galigaï, qui fut cependant le premier mobile de votre fortune. Mon pays et ma famille m’entretiennent assez de vous pour qu’il ne soit pas nécessaire en songeant à vous de les quitter.

« Vos persécutions et votre haine y ont suivi le feu duc mon époux, mais elles ont trouvé le moyen d’y faire saigner plus cruellement mon cœur. Vous avez tué, en Italie même, par une mort lente et sourde, un homme qui n’a eu d’autre tort envers vous que celui d’être opposé à votre cause ; il y a quinze ans. Cet homme, je l’ai aimé. Un tel amour eût été un crime tant que le duc a vécu, il avait précédé mon union avec lui, il ne la troubla jamais. L’année de mon mariage fut celle de la mort de cet homme ; il était mon fiancé : son nom de famille vaut le mien. Monseigneur, je suis Italienne, et je suis femme. Il me faut du sang pour venger la mort de votre victime, vous ignorez par quel lien je lui tenais. La compagnie de gardes que vous lui avez demandée pour la sûreté de votre personne ne vous sauvera pas. Mon plan est arrêté, il n’échouera pas comme celui de Montrésor et Saint-Ibal. À dater de ce jour, je ne suis plus la comtesse Alvinzi, je reprends mon nom et ma haine. Adieu !

« La duchesse de Fornaro. »

L’étonnement du docteur en écoutant cette lettre dont l’imprudence égalait au moins l’audace, arrêta d’abord toute parole sur ses lèvres, il se contenta de regarder le cardinal d’un air glacé. Richelieu avait replié la lettre, il essuyait avec son mouchoir la sueur qui baignait son front. Une pareille lettre lui paraissait le fruit de la démence ; mais elle lui venait d’une Italienne, d’une femme qui